Recorded by Fabien Girard at studio Moffou, Bamako in 2009
Mixed by Philippe Teissier du Cros, studio Boxson, Paris, in2009
Mastered by Raphaël Jonin au studio JRaph ing
Executive Production - Laurent Bizot assisted by Thibaut Mullings
Guests
Awa Sangho - Lead vocal on Regret - à Kader Barry
Mahamadou Kamissoko - Ngoni on Houdesti
Fassery Diabate - Balafon on Houdesti
Demba Camara - Bolon on Oscarine, Halinkata Djoubé, Mako Mady
Karignan on "Ma-Ma" FC, Regret - à Kader Barry
All songs published by Nø Førmat! except Oscarine, Histoire de Molly, and "Ma-Ma" FC
Pour tout musicien, le jeu en duo représente une
expérience résolument à part. Parce qu'il poursuit l'idéal d'un
tête-à-tête dont les protagonistes fondraient leurs voix dans le creuset
d'une pensée commune, il met plus que jamais le partage à l'origine
même du geste instrumental. Il n'exige pas seulement une très haute
qualité de parole, mais aussi une exceptionnelle qualité d'écoute. En
duo, c'est aussi et surtout avec les oreilles - le premier véritable
instrument du musicien - que tout se joue.
Cet art de la conversation basé sur l'entente et l'attention à l'autre,
le joueur de kora Ballaké Sissoko et le violoncelliste Vincent Segal le
poussent à son plus haut degré de justesse dans Chamber Music. Cet album
n'aurait pu être que le témoignage d'une brève rencontre placée sous le
signe du métissage des cultures. C'est heureusement bien plus que ça.
Jadis pensionnaires du même label (Label Bleu), les deux hommes ont
d'abord pris le temps de tisser d'étroits liens d'amitié.
L'idée de
travailler sur un album commun a germé il y a quelques années dans
l'esprit de Ballaké Sissoko qui, au festival de jazz d'Amiens, venait
d'assister à un concert de Vincent Segal au sein de Bumcello, son duo
explosif avec Cyril Atef. Mais pour l'un comme pour l'autre, il n'était
pas question de précipiter les choses. "C'était important d'apprendre à
se connaître musicalement, précise le musicien malien. Pendant pas mal
de temps, on s'est retrouvé chez Vincent à chaque fois que j'étais à
Paris, on a aussi donné quelques concerts. On a construit notre
complicité petit à petit. Aujourd'hui, quand on joue, on se comprend
sans même se parler : un simple regard suffit. On a le coeur ensemble."
Ce soin apporté à la pâte humaine de toute musique, Sissoko et Segal le
cultivent depuis une bonne vingtaine d'années - le premier en ayant
notamment croisé ses cordes avec celles de Taj Mahal ou du pianiste
Ludovic Einaudi, le second en ayant assumé les rôles d'accompagnateur,
d'arrangeur ou de producteur avec une myriade de personnalités aussi
différentes que Cesaria Evora, -M-, Blackalicious, Piers Faccini, Sting
ou Marianne Faithfull. Leurs parcours respectifs disent l'importance
qu'ils accordent à ces transmissions de pensées et de sensations.
Issus
de milieux musicaux multi-séculaires (la tradition griotique mandingue
pour Sissoko, l'école classique pour Segal), ils auraient pu s'enfermer
dans des schémas de jeu et de vie tout tracés. Du poids historique dont
leur instrument et leur culture d'origine étaient lestés, ils ont fait
un bagage, qu'ils ont emporté avec eux pour mieux prendre le large et
étancher leur soif de savoirs. Quand Sissoko et Segal, en mai 2009, ont
enn décidé d'enregistrer un disque à Bamako, c'était donc pour
appliquer une fois encore les principes d'une simple et lumineuse morale
commune, dont le Français saisit en quelques mots la teneur : "Tu vas
juste chercher où tu peux le plaisir de la musique."
Le plaisir de la musique, ici, s'est condensé dans l'espace et le temps
que les deux amis se sont aménagés : une pièce nue dans le studio Moffou
de Salif Keita, trois sessions d'enregistrement sans overdubs, tissées
dans le cocon protecteur de la nuit malienne. A l'écart de l'agitation
des hommes et au coeur apaisé du monde, Ballaké Sissoko et Vincent Segal
ont chassé de leurs esprits tout ce qui peut éloigner un musicien de
son art - toutes ces vaines considérations de genre ou de style qui
n'intéressent guère que les colleurs d'étiquettes - pour mieux se
concentrer sur l'essentiel : l'imbrication harmonieuse de leurs langages
et de leurs signatures, l'entrelacement de leurs chants intérieurs,
auxquels les ondes subtiles de l'improvisation et la vibration secrète
du silence sont venues apporter une densité supplémentaire. Leur
complicité est telle que la kora et le violoncelle, loin de s'adonner à
un trop formel échange de réparties, semblent s'exprimer d'une même voix
: Sissoko et Segal mêlent ici leurs sangs et leurs sons pour conclure
un pacte qui vise au jaillissement d'une parole justement uniée, d'une
incomparable limpidité. Ce qu'on entend dans Chamber Music est rare et
précieux: deux sensibilités à l'unisson, sur la même longueur d'onde,
créent une musique qui, littéralement, coule de source.
Le même sentiment de concorde et la même impression de fluidité habitent
les interventions des quelques amis auxquels Sissoko et Segal ont ouvert
leur porte. La voix de la chanteuse Awa Sangho recouvre ainsi d'un
voile de solennité le morceau Regret, composé en hommage au chanteur
Kader Barry. Sur Houdesti, longue plage vers laquelle toutes les forces
tranquilles traversant l'album semblent converger, Mahamadou Kamissoko
(ngoni) et Fassery Diabaté (balafon), présences fugitives mais
pregnantes, achèvent de soulever de terre une musique arrachée aux
courants et aux modes. Sur deux titres, Demba Camara, lui, fait résonner
les crépitements du karignan avec la science d'un maître du feu. Le
tout est empreint d'une innie douceur, de cette douceur qui favorise
bien plus qu'elle n'altère la plus grande intensité d'expression. En
enregistrant ce disque, Vincent Segal dit avoir songé à des musiciens
comme le songwriter anglais Nick Drake ou la pianiste Annette Peacock,
auteurs d'épures possédant la force d'inscription d'eaux-fortes. Les
tableaux vibrants de Chamber Music valident naturellement ses visions :
dépouillés de toute matière superflue, ils accèdent sans détours à la
vérité première et bouleversante de la musique.